Voici une sélection de 10 séries photographiques majeures à caractère documentaire qui ont marqué l’histoire de la photographie. 10 séries photographiques qui continuent d’inspirer ou de susciter la controverse par bien des aspects politiquement incorrects. En un mot des séries photographiques qui ne laissent pas indifférent.
« The Americans » de Robert Frank
Peu de photographes ont réussi à capturer la vie et la culture américaines aussi honnêtement que Robert Frank. Décrit comme le livre photo le plus influent de tous les temps, sa série The Americans lui a valu la comparaison avec un de Tocqueville des temps modernes pour sa vision fraîche et nuancée de la société américaine de l’après-guerre.
Créé dans les années 1950 au cours d’une série de voyages en voiture à travers les États-Unis, Robert Franck montrait une Amérique différente par rapport à l’image que le pays avait de lui-même à l’époque. Tout en capturant les autoroutes, les défilés, les voitures, les restaurants, les juke-boxes et de nombreux autres symboles américains, Frank a dépeint un sentiment sous-jacent d’aliénation et d’épreuves. Il s’est penché sur les folies criardes et les contradictions étrangement touchantes de la culture américaine, présentant les bases d’une iconographie cohérente de l’époque. Son livre a redéfini ce qu’un livre photo pouvait être – personnel, poétique et réel – pour finalement changer le cours de la photographie du XXe siècle.
Le livre est d’abord publié en France et en français par Robert Delpire en 1958 puis l’année suivante aux États-Unis. Préfacé par Jack Kerouac, son compagnon de route, ce livre « Jugé triste, pervers, voire subversif à l’époque » est devenu un classique des livres de photographie.
Plus de soixante ans après, cet ensemble demeure toujours aussi puissant et provocateur. Le livre rassemble 83 photos sur les 23 000 que Frank a prises au cours de son périple d’un an et demi à travers les États-Unis.
Dans le film Robert Frank – L’Amérique dans le viseur que Laura Israël lui a consacré en 2013, il déclare : « Quand je regarde les 83 photos que j’ai choisies pour le livre, je me dis que j’ai capté l’essence. »
Robert Frank est né à Zurich en 1924. Il quitte la Suisse en 1947 et s’installe aux États-Unis. Ses multiples voyages le conduisent en Amérique du Sud, en Espagne, en Angleterre et à Paris. Photographe majeur dans les années 1950 et 1960, il se consacre ensuite au cinéma expérimental avant de revenir progressivement à la photographie dans les années 1970.
© Robert Frank
« Minamata » de William Eugene Smith
De 1971 à 1974, William Eugene Smith passe quatre années à réaliser un reportage sur l’un des plus grands scandales écologiques du siècle à Minamatta au Japon. Le village de pécheurs est ravagé par les effets d’une pollution au mercure qui provient de l’usine chimique Chisso.
Le photographe lui-même est atteint par la maladie et doit être rapatrié en 1974 après avoir été agressé physiquement par les hommes de main de l’entreprise. Le livre sur cette catastrophe écologique parait en 1975. Il fait le tour du monde et devient culte.
« A chaque fois que j’ai appuyé sur le déclencheur, c’était un cri de condamnation, lancé avec l’espoir que mes images puissent survivre à travers les années, avec l’espoir qu’elles puissent résonner dans l’esprit des hommes dans l’avenir – et que ceux-ci conservent, avec précaution, le souvenir et la réalisation de ces images. »
– William Eugene Smith
10 séries photographiques majeures à découvrir ou redécouvrir
© William Eugene Smith
« Le Bain de Tomoko » demeure l’une des premières photographies à avoir dénoncé les problèmes environnementaux au Japon. Et notamment, les conséquences désastreuses de la pollution au mercure sur la population de la baie de Minamata. La présence de la mère bienveillante, telle Marie soutenant le Christ mort, emplit l’œuvre d’humilité, et lui confère sacré et universalité.
10 séries photographiques : « In the american west » de Richard Avedon
Richard Avedon, à la demande du Amon Carter Museum de Fort Worth (Texas), se lance en 1979 dans un projet qui va durer six ans. Le photographe sillonne l’Ouest américain et photographie cent vingt-cinq portraits de personnages emblématiques de l’Amérique profonde, essentiellement des travailleurs, des mineurs de fond, des ouvriers des champs pétroliers, des pêcheurs et des adolescents. Le photographe capture la réalité brute d’une Amérique loin du glamour hollywoodien. A sa sortie, Richard Avedon est critiqué pour avoir montré ce que d’aucuns considèrent comme une face peu flatteuse des États-Unis. Aujourd’hui, ces travaux sont considérés comme caractéristiques de la photographie du XXe siècle et comme faisant partie des œuvres majeures du photographe.
© Richard Avedon
« Immediate Family » de Sally Mann
Publié pour la première fois en 1992, « Immediate Family » a été salué par la critique comme l’un des grands livres de photographie de notre époque, et parmi les plus influents.
Sally Mann est réputée pour cette œuvre très controversée, où elle ré-invente la photographie de famille. Elle y montre son fils Emmet et ses deux filles Jessie et Virginia dans l’intimité de la vie de tous les jours où se mêlent l’innocence des jeux d’enfants, une sensualité troublante ainsi qu’une vertigineuse mise en abîme sur la mort, la violence et la vie.
Prises entre 1984 et 1991, ces photographies donnent à la photographe une renommée internationale mais ne tardent pas à susciter des polémiques dès la seconde moitié des années 1990. L’auteur est ainsi parfois accusée d’exhiber ses enfants et son travail se trouve censuré et vandalisé. Néanmoins, ses enfants, désormais adultes, prennent sa défense face aux attaques qui persistent.
© Sally Mann
« Café Lehmitz » de Anders Petersen
En 1978, la publication de Café Lehmitz propulse le jeune documentariste suédois, Anders Petersen sur le devant de la scène artistique internationale. Ce livre, devenu culte, chronique le quotidien atypique d’un café de Hambourg où se retrouvent paumés, prostituées et marginalisés.
Conçu comme un huis-clos, Café Lehmitz est un chef-d’œuvre dans lequel l’auteur, immergé dans la vie du troquet et de ses gens ordinaires, s’évertue à maintenir cette « proche distance » nécessaire à l’exécution de son travail.
Ses images, d’un noir et blanc granuleux font choc au moment de la publication du livre.
« Pour moi tous les humains sont des parents. Ce ne sont pas des japonais; des strip-steaseuses en maillot léopard, des malades mentaux, de dangereux criminels, des vieux dans un hospice ou des photographes déboussolés, se sont mes semblables. Nous faisons partie de cette grande famille et je veux saisir ce qui nous unit profondément. »
– Anders Petersen
© Anders Petersen
« Je savais que je devais rester entre ces quatre murs. J’ai compris que Lehmitz était quelque chose de fondamentalement différent: un point de rencontre miséricordieux pour les faibles et en même temps leur terminus. »
– Anders Petersen
« Tulsa » de Larry Clark
En 1963, Larry Clark a 20 ans. Il immortalise sa propre dérive suicidaire et celle de sa bande de copains shootés à la drogue, à la violence et au sexe, au cœur de l’Amérique profonde.
Publié en 1971 par Lustrum Press, maison d’édition de Ralph Gibson, Tulsa a fait scandale auprès de la scène artistique, mais reste un ouvrage de référence pour de nombreux photographes.
La série photographique en noir et blanc représente la vie tumultueuse de la jeunesse droguée des années 60 à Tulsa dans l’état de l’Oklahoma. Quelques décennies plus tard, la série continue de choquer. Aujourd’hui, l’ouvrage est épuisé et reste difficile à trouver.
« Je suis né à Tulsa, Oklahoma en 1943. j’ai commencé à me shooter aux amphétamines à 16 ans. je me suis shooté tous les jours, pendant trois ans, avec des copains, puis j’ai quitté la ville mais je suis revenu. Une fois que l’aiguille est rentrée, elle ne ressort plus. »
– Larry Clark, Tulsa, 1971
© Larry Clark
« The ballad of sexual dependency » de Nan Goldin
En réalisant des centaines de photographies de son entourage prises sur le vif, Nan Goldin signe avec « The Ballad of Sexual Dependency » une série photographique mémorable initiée à la fin des années 1970 à New York.
Se plaçant elle-même au cœur de ce projet d’exploration de l’intime, à la fois devant et derrière l’objectif, la photographe américaine y expose ce que l’Amérique refuse de voir : drogue, prostitution, violence, sida… A chaque fois, elle s’attache à présenter sans complaisance aucune des instants du quotidien qui sont tout autant des reflets d’un milieu et d’une époque.
© Nan Goldin
« Nous sommes liés non par le sang ou un lieu, mais par une morale semblable, le besoin de vivre une vie pleine et pour l’instant présent, une incrédulité en le futur, un respect similaire de l’honnêteté, un besoin de repousser les limites et une histoire commune. »
— Nan Goldin
10 séries photographiques majeures : « Streetwise » de Mary Ellen Mark
Streetwise est l’œuvre la plus emblématique de la photographe américaine engagée et humaniste, Mary Ellen Mark. Durant toute sa carrière, elle s’est attachée à immortaliser la misère sous toutes ses formes.
Streetwise est consacré aux enfants des rues de Seattle. La photographe s’est rapprochée d’une bande de huit adolescents désœuvrés et les a suivi dans leurs vies rythmées par l’errance, la prostitution et la drogue. Un des personnages, Tiny, 13 ans à l’époque, sera photographiée sur de nombreuses années : de ses 13 ans à nos jours.
Tiny, Halloween, 1983.
© Mary Ellen Mark
« Ray’s a laugh » de Richard Billingham
En 1996, paraît « Ray’s a Laugh », un livre regroupant une sélection des « photographies de famille » de Richard Billingham. Elles présentent le quotidien pour le moins chaotique et singulier de ses parents, couple sans emploi avec deux enfants à charge dans la banlieue pauvre de Birmingham.
© Richard Billingham
10 séries photographiques majeures : « Brooklyn Gang » de Bruce Davidson
En 1959, New York comptait plus de 1 000 membres de gangs, principalement des adolescents de sexe masculin provenant de groupes ethniques définis et originaires des quartiers périphériques. Au printemps de la même année, Bruce Davidson lu un article de journal sur les combats de rue dans Prospect Park et décida de traverser le pont de Brooklyn depuis Manhattan à la recherche d’un gang à photographier.
« J’ai rencontré un groupe d’adolescents appelés les Jokers », écrivait-il dans l’épilogue de son livre, Brooklyn Gang. « J’avais 25 ans et ils en avaient environ 16. J’aurais facilement pu être pris pour l’un d’entre eux. »
L’année précédente, Davidson était devenu membre de Magnum, après avoir montré son travail à son héros, le co-fondateur de l’agence, Henri Cartier-Bresson.
Avec les Jokers, la frontière entre l’observation et l’immersion est devenue encore plus floue. « Avec le temps, ils m’ont permis d’être témoin de leur peur, de leur dépression et de leur colère. Je me suis vite rendu compte que moi aussi, je ressentais leur douleur. En restant près d’eux, j’ai découvert mes propres sentiments d’échec, de frustration et de rage. »
Pendant plusieurs mois, Davidson a suivi les Jokers dans leurs errances interminables sur leur territoire de Brooklyn et au-delà. Il les a capturés traînant dans Prospect Park, où des danses en plein air avaient lieu les soirs d’été de fin de semaine, et se relaxant sur la plage à Coney Island.
« Ma façon de travailler est d’entrer dans un monde inconnu, de l’explorer pendant un certain temps et d’en tirer des leçons. »
– Bruce Davidson
© Bruce Davidson
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